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La fin de l’accord amiable entre la Suisse et la France repoussée au 31.12.2020
L’imposition des travailleurs frontaliers est une question complexe, tout comme la question de la sécurité sociale transfrontalière. L’accord amiable exceptionnel signé par les autorités suisses et françaises est finalement prolongé jusqu'au 31 décembre prochain.
28.08.2020
Il y a eu un avant et il y aura un après Coronavirus.
Dans certaines situations, l’après sera toutefois exactement le même que l’avant, au moins dans l’immédiat. C’est précisément le cas de l’imposition des travailleurs frontaliers.
Pour rappel, la Suisse et la France ont signé un accord amiable le 13 mai dernier pour suspendre temporairement les règles applicables aux travailleurs frontaliers. Cet accord avait pour but de faciliter le télétravail dans un contexte de fermeture des frontières et de mesures visant à lutter contre le Coronavirus.
Avec l’assouplissement des mesures et un retour progressif à la normale, les autorités suisses et françaises ont décidé de mettre fin à cet accord amiable le 31 août prochain pour revenir au système classique.
Voilà l’occasion de faire un point sur le régime applicable aux travailleurs frontaliers, avant et désormais après cette crise du Coronavirus.
La convention entre la Suisse et la France du 9 septembre 1966 en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (CDI CH-FR) prévoit notamment que les rémunérations obtenues par un résident d’un Etat contractant au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre Etat (principe du lieu du travail effectif).
C’est précisément le cas d’un résident français exerçant son travail en Suisse. Dans cette situation, la CDI CH-FR prévoit que la rémunération est imposée en Suisse, soit dans l’Etat où l’emploi est exercé.
Les choses seraient ainsi relativement simples si la CDI CH-FR ne réservait pas expressément l’application de l’Accord du 11 avril 1983 conclu entre le Conseil fédéral suisse, agissant au nom des cantons de Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura, et le Gouvernement de la République française (Accord du 11 avril 1983).
Cet Accord du 11 avril 1983 découle d’anciens accords franco-suisses conclus au début du XXe siècle par les cantons suisses limitrophes de la France. Ces accords historiques prévoyaient une imposition des salaires au lieu de résidence des travailleurs frontaliers et non à leur lieu de travail (principe du lieu de résidence).
Suite à l’entrée en vigueur de la CDI CH-FR, la France et les travailleurs frontaliers ont manifesté leur opposition au changement de paradigme qui visait à imposer le salaire d’un frontalier au lieu de travail et non plus au lieu de résidence.
C’est ainsi qu’après de longue négociations, l’Accord du 11 avril 1983 est né. Cet accord dérogeait aux dispositions de la CDI CH-FR en maintenant une imposition au domicile du travailleur frontalier contre une compensation financière de 4,5 % de la masse salariale brute à l’Etat du lieu de travail.
Après avoir bien compris le principe et l’exception, rajoutons une couche de fédéralisme. Pour le cas où vous n’auriez pas été attentif, le canton de Genève n’a pas participé à l’Accord du 11 avril 1983.
Dans le canton de Genève, les travailleurs frontaliers sont imposés à la source sur leurs salaires obtenus dans le canton. L’imposition est donc effectuée dans l’Etat du lieu de travail, conformément au principe de la CDI CH-FR.
Relevons que depuis 1973, le canton de Genève verse une compensation financière de 3,5 % de la masse salariale brute aux départements français limitrophes (l’Ain et la Haute-Savoie). Cette compensation n’est pas fiscale. Elle vise à indemniser les collectivités publiques françaises dans lesquelles les travailleurs français sont domiciliés et où ils génèrent des charges financières non couvertes par l’impôt.
Avec la propagation du coronavirus au mois de mars, les autorités ont rapidement fermé les frontières et invité les travailleurs à rester à leur domicile.
Tout le problème est qu’un travailleur frontalier qui ne traverse plus la frontière pour passer de l’Etat de son domicile à l’Etat de son lieu de travail n’est plus un travailleur frontalier au sens des différents accords précités et de l’ALCP.
Fort de ce constat, les autorités suisses et françaises ont signé un accord amiable le 13 mai dernier. Au terme de cet accord, les travailleurs frontaliers qui sont contraints de travailler à domicile continuent de bénéficier des mêmes régimes d’imposition qu’avant la crise, qu’il s’agisse du régime genevois ou du régime de l’Accord du 11 avril 1983.
Ce point est particulièrement important pour les travailleurs frontaliers genevois car le lieu de travail est déterminant s’agissant de l’imposition à la source des personnes résidant à l’étranger. Dès lors, sur la base de cet accord amiable, les résidents français travaillant usuellement à Genève peuvent télétravailler sans risque de voir le régime fiscal modifié du fait de l’absence de déplacement sur le lieu de travail. Cette mesure est également une simplification pour les employeurs qui continuent de retenir l’impôt à la source comme si les employés concernés étaient présents dans les locaux.
Les dispositions de cet accord amiable ont pris effet rétroactivement le 14 mars 2020 et devaient prendre fin le 31 mai dernier, sauf reconduction tacite. L’accord amiable a ainsi été prolongé au mois de juin et devait prendre fin le 31 août prochain.
Le 17 août dernier, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a indiqué que la Suisse et la France ont convenu que l’application flexible des règles d’assujettissement en matière de sécurité sociale resterait valable jusqu’à la fin de l’année.
Cette mesure s’inscrivait dans le contexte sanitaire si particulier que nous connaissons, d’autant plus avec la crainte d’une deuxième vague d’ici l’automne. Autrement dit, du point de vue des assurances sociales, un travailleur frontalier français sera considéré comme travaillant en Suisse même s’il ne peut pas se déplacer physiquement sur son lieu de travail en Suisse.
Le non renouvellement de l’accord fiscal restait toutefois un gros frein au télétravail pour les raisons invoquées dans cet article.
Finalement, les autorités suisses et françaises ont décidé d’aligner les problématiques fiscales et de charges sociales. Le Secrétariat d’État aux questions financières internationales SFI a annoncé le 28 août 2020 que l’accord amiable provisoire du 13 mai 2020 entre la Suisse et la France concernant l’imposition des frontaliers exerçant en télétravail à la suite des mesures prises dans le contexte de lutte contre le COVID-19 reste en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020.
Les règles classiques d’imposition des travailleurs frontaliers ne seront rétablies que le 1er janvier 2021, sous réserve de l’évolution de la pandémie ou de l’évolution du cadre juridique et fiscal.
La prolongation de cet accord exceptionnel tout comme celui relatif à la sécurité sociale devrait ravir les travailleurs frontaliers, au moins jusqu’à la fin de l’année.
Rappelons encore une fois que cet accord amiable est une mesure exceptionnelle et provisoire ; les principes fiscaux présentés ci-dessus restant la norme sans changement de paradigme juridique, fiscal et en matière de sécurité sociale.
La problématique du télétravail transfrontalier est donc bien plus complexe qu’il n’y parait. C’est la raison pour laquelle le service juridique du groupement transfrontalier européen a lancé une étude pour analyser les effets à long terme d’un assouplissement des règles applicables aux frontaliers en matière de droit du travail, de fiscalité et de sécurité sociale.
Directeur associé Fidag Genève
Juriste - fiscaliste
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