Augmenter la fiscalité pour payer la facture du Covid-19 ?

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Augmenter la fiscalité pour payer la facture du Covid-19 ?

Une solution discutable de quelques élus genevois

La question est sur beaucoup de lèvres : qui paiera finalement la facture du Covid-19 ? Si pendant la crise il n’était pas envisagé de toucher à la fiscalité pour financer les aides publiques destinées à soutenir l’économique, la gauche genevoise est passée à l’offensive en déposant 3 projets de lois visant à modifier temporairement les règles fiscales.

13.07.2020

Comme le relève la CCIG dans son mensuel n° 7, « en temps de crise et de vaches maigres, la voie de la facilité consisterait à actionner le levier fiscal pour renflouer les caisses de l’Etat ».

 

C’est pourtant la voie que semble choisir la gauche genevoise au terme de ses trois projets de lois déposés respectivement les 22 avril et 18 mai dernier.

 

A l’appui de ces projets, les partisans avancent notamment que :

  • Ces mesures ne sont que temporaires ;
  • Ces mesures visent à garantir que l’Etat puisse être le garant de la cohésion sociale et de la relance économique ;

 

Il faut poursuivre l’élan de solidarité, né pendant le confinement, dans le système fiscal par une meilleure redistribution des richesses.

Une contribution de solidarité des grandes fortunes à un fonds en faveur de l’aide sociale aux victimes du Covid-19

Le PL 12686 déposé le 22 avril dernier vise à modifier la constitution genevoise afin de créer un fonds de financement des mesures d’aide sociale en faveur des victimes de la pandémie de Covid-19.

 

Ce fonds serait notamment destiné à :

  • Mettre en place une allocation complémentaire aux personnes bénéficiant du chômage partiel afin de garantir le versement de leur salaire à 100 %.
  • Garantir une indemnité journalière aux personnes actives empêchées de travailler totalement ou partiellement en raison de la pandémie et qui ne bénéficient pas d’indemnités de chômage.
  • Garantir un soutien social approprié aux personnes de 65 ans et plus.
  • Garantir la prolongation des aides financières à la formation pour deux semestres supplémentaires.

 

Afin de financer ce fonds, une contribution de solidarité serait prélevée auprès des contribuables genevois dont la fortune imposée dépasse 2 millions. Cette contribution, dont le taux maximum s’élèverait à 1%, serait prélevée sur la part de fortune imposée qui dépasse 2 millions de francs.

 

Avec un taux maximum de 1%, Genève est déjà l’un des cantons qui taxe le plus lourdement la fortune. Rajouter 1 % sur la part qui dépasse 2 millions de francs consisterait à taxer la fortune de certains contribuables à plus de 1 % là où d’autres cantons (notamment en Suisse centrale) se contentent d’un taux inférieur à 0,5 %.

 

Rappelons, s’il le fallait encore, que les rendements financiers ont fondu ces dernières années. De plus, la fortune des genevois est souvent investie en grande majorité dans leur résidence principale avec un prix de l’immobilier très élevé et aucun rendement. Pour les entrepreneurs, la situation peut même être encore pire avec une valorisation fiscale de leur société s’éloignant de la réalité économique.

 

Une telle contribution sociale n’aurait malheureusement pour seule conséquence que de réduire encore plus rapidement la fortune des contribuables et de créer des problèmes de liquidités chez certains contribuables dont la fortune ne génère aucun rendement.

La suspension du bouclier fiscal

Le PL 12718 déposé le 18 mai dernier entend quant à lui suspendre temporairement le bouclier fiscal genevois pour les périodes fiscales 2020 à 2022.

 

Instauré en 2011 pour contenir la fiscalité et éviter un impôt confiscatoire (voir l’article de Sandrine Bonvin sur le bouclier fiscal), le bouclier fiscal genevois n’a pourtant jamais fait l’unanimité. Il subit des attaques régulières avec de nombreux projets de lois visant sa modification ou sa suspension.

 

Ses détracteurs avancent notamment un cadeau fiscal accordé aux riches contribuables entraînant des pertes considérables pour l’Etat.

 

Le bouclier fiscal serait pourtant profitable à tous (voir l’article du magazine Bilan). Certes, ce mécanisme permet à certains contribuables d’obtenir une réduction d’impôt mais permet également à l’Etat de conserver d’importants contribuables. Comme le souligne la CCIG, rappelons qu’à Genève, « seul 1% des contribuables paie un tiers de l’impôt alors que plus d’un tiers des contribuables en est exempté ». Il est donc essentiel que l’impôt ne soit pas confiscatoire.

 

De plus, contrairement à une idée reçue, le bouclier fiscal ne profite pas qu’aux riches contribuables. Un retraité ne disposant que d’une rente AVS avec un bien immobilier sans hypothèque ou une fortune héritée peut être éligible à ce mécanisme.

 

Contrairement à ce qu’indiquent les partisans de cette mesure, il n’est pas si coûteux et compliqué de déplacer son domicile fiscal surtout lorsque l’on fait appel à des professionnels du domaine. Dans le même sens, avancer la qualité de vie genevoise et les infrastructures comme motif pour rester dans le canton malgré une forte charge fiscale paraît réducteur. Cela reviendrait à dire que les autres cantons ne bénéficient pas d’un tel cadre de vie ou de pareilles infrastructures et justifieraient ainsi, vraisemblablement à tort, une fiscalité moins attractive pour Genève.

La suspension de l’imposition d’après la dépense

Le PL 12719, déposé également le 18 mai dernier, entend quant à lui suspendre temporairement l’imposition d’après la dépense pour les périodes 2020 à 2022.

 

Pour rappel, l’imposition d’après la dépense, également appelée forfait fiscal, a été développée au début du XXe siècle dans le canton de Vaud pour attirer de riches retraités sur la Riviera. Contrairement à l’imposition ordinaire fondée sur la fortune et les revenus effectifs d’un contribuable, le forfait fiscal se fonde sur les frais liés au train de vie du contribuable (loyer, entretien d’un bien immobilier, personnel de maison, scolarisation des enfants, habillement, loisirs, etc.) qui doit impérativement être un ressortissant étranger n’exerçant aucune activité lucrative en Suisse.

 

Critiqué depuis longtemps par la population qui trouve le système injuste car contraire au principe de l’imposition proportionnelle à la capacité contributive d’un contribuable, certains cantons de Suisse Alémanique y ont renoncé. La Confédération considère au contraire qu’il s’agit d’un outil permettant de renforcer l’intérêt de la place économique suisse.

 

Ce forfait fiscal concerne moins d’un contribuable sur mille. Pour le canton de Genève, ce serait un peu plus de 600 contribuables qui bénéficieraient de ce système d’imposition.

 

A Genève, l’assiette minimum relative au train de vie est de CHF 400’000 qui sont taxés comme revenus. C’est ainsi près de 150 millions de francs de recettes fiscales générées au niveau cantonal par ce forfait fiscal.

 

Pour les partisans du projet de loi, ces recettes fiscales restent toutefois très inférieures à ce que l’Etat pourrait prétendre pour un contribuable suisse présentant la même situation patrimoniale. En suspendant temporairement le forfait fiscal, les partisans estiment que les recettes fiscales supplémentaires permettront de venir en aides aux indépendants, aux travailleurs domestiques et à ceux qui ont tout perdu du jour au lendemain, d’autant plus que le risque de fuite de ces contribuables ne serait pas important.

 

Le risque de fuite de ces contribuables n’est pourtant négligeable. Comme indiqué plus haut, il n’est pas si compliqué de déplacer son domicile. De plus, les bénéficiaires de ce forfait n’exercent pas d’activité lucrative dans le canton ni même en Suisse. Ils disposent ainsi de toute la latitude pour choisir un nouveau lieu de vie offrant un niveau comparable de confort et d’infrastructures tout en bénéficiant d’une fiscalité plus attractive que dans le canton de Genève.

Conclusion

Il n’aura pas fallu longtemps pour que les problématiques économiques et sociales soient reprises dans le jeu politique. Il semble en effet très opportuniste de mettre sur la table les questions du bouclier fiscal et de l’impôt sur la dépense. Bien que critiqués, ces systèmes ont finalement toujours été maintenus lors des votations qui les ont attaqués.

 

Comme le relève à juste titre la CCIG « alourdir la charge fiscale, c’est réduire les prestations ». En effet, ces différents projets mettraient à mal un équilibre déjà fragile.

 

Plutôt que de profiter de la crise actuelle pour remettre au goût du jour de vieux débats, il serait préférable de trouver des solutions pragmatiques pour aider les entreprises qui créent la véritable richesse. La fiscalité doit permettre de dynamiser l’économie en permettant aux entrepreneurs de se développer et ne doit pas devenir un frein, comme dans certains pays.

Christopher Faget

Christopher Faget

Directeur associé Fidag Genève
Juriste - fiscaliste